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Nourrir les villes - Les possibilités et les défis des agricultures urbaines

Et s’il était davantage d’actualité de définir l’agriculture urbaine au pluriel ? C’est en tout en cas ce que propose Christine Aubry, chercheuse à l’INRA–AgroParisTech, qui préfère parler d’agricultures urbaines tant les pratiques, les enjeux et les trajectoires sont diverses.


Les premières villes de nos civilisations humaines pratiquaient déjà l’agriculture urbaine. Mais c’est plus récemment, pendant la période d’industrialisation qui a traversé la fin du 18ème et le début du 19ème siècles - alors que des millions de personnes ont quitté leur campagne dans l’espoir de faire fortune en ville - que les premiers concepts de cités-jardins et de jardins familiaux sont apparus, offrant ainsi la possibilité aux citadins de subvenir à leurs propres besoins alimentaires.


Selon Christine Aubry, sont urbaines “les agricultures pratiquées dans la ville ou à ses abords et sont en lien étroit avec elle”. La dimension d’échange, qui se traduit par les produits ou services donnés à la ville en retour d’une main-d'œuvre, serait même plus importante que celle de la localisation pour définir, en un mot, ce qu’est l’agriculture urbaine.


Contenant autant de pratiques que de concepts, cette forme d’agriculture se décline au pluriel tout d’abord par son interdisciplinarité. Malgré le manque de soutien et d’intégration de projets d’agriculture urbaine dans les politiques des villes, celle-ci bénéficie depuis certaines années d’un engouement qui ne cesse de se confirmer. Pour porter cet intérêt, un agenda de recherche émerge de manière concomitante afin d’établir un lien entre la justice et la souveraineté alimentaires, les mouvements urbains et agraires. Aujourd’hui, la ville est encore trop souvent considérée comme un conteneur, un lieu à fournir en nourriture. Il nous faut se pencher sur la question plus vaste de notre “urbanité” : c’est elle qui détermine nos modes de consommation et nos styles de vie spécifiques qui font pression sur le système alimentaire actuel.


La prise de conscience des citadins à l’égard de ces formes d’agriculture locale, de proximité, est due à une conjonction de plusieurs inquiétudes : celles du climat, de la précarité alimentaire, de la crise économique, de l’envie de changer de filière devant les dérives de notre consommation et production de nourriture, de la crise sanitaire…


ll est vrai que les bénéfices des agricultures urbaines sont nombreux. Les villes représentent un laboratoire de recherche foisonnant pour ces types de projets. Par exemple, les Associations pour le Maintien de l’Agriculture Paysanne (AMAP) permettent ainsi de créer le lien entre les agriculteurs et les citadins, tout en favorisant une production et consommation locale de fruits et légumes frais au sein des villes. Restaurer une souveraineté alimentaire soucieuse des petits producteurs, des consommateurs et du contexte urbain, est primordial pour réduire notre empreinte écologique, préserver la biodiversité des sols, ou encore faire face à la volatilité du marché.


Les agricultures urbaines sont diverses et peuvent répondre à plusieurs besoins. On peut par exemple citer :

- les fermes urbaines qui peuvent se trouver sur des toits ou des zones réhabilitées (comme des anciennes usines), et qui peuvent se tourner vers des cultures maraîchères ou se spécialiser dans des productions uniques de miel, de champignons, etc…

- les jardins familiaux, de plus petite taille, qui existent dans les zones résidentielles à destination des habitants du quartier

- les jardins associatifs qui sont gérés par une ou des associations et qui visent en général un public minoritaire

- les jardins éducatifs comme outils de sensibilisation à l’écologie

- les jardins thérapeutiques qui se situent au sein d’institutions médicales et qui représentent un capital bien-être pour ceux qui s’y trouvent en raison de soins de santé physique et mentale

- les jardins de squatters qui utilisent des terrains en friche pour une production alimentaire


Le grand enjeu de ce siècle, caractérisé par une urbanisation sans précédent, est donc de nourrir les villes durablement. L’agriculture de proximité et le circuit court répondent en grande partie à ce défi. Pour autant, il ne s’agit pas là d’une “solution miracle”, une illusion qui semble avoir pris en ampleur en ces temps de crise, à défaut d’une vision de résilience urbaine sur le plus long-terme. Plusieurs éléments sont à prendre en compte dans les politiques : la taille des villes, l’importance de maintenir le lien avec les agriculteurs qui pratiquent une agriculture dite “conventionnelle”, la cohérence des projets avec les réalités du terrain…



Les agriculteurs sont unanimes : il n’est pas, à l’heure actuelle, imaginable de se nourrir essentiellement de l’agriculture urbaine dans des grandes villes comme Paris. D’ailleurs, pour Christine Aubry, cette dernière est encore loin de pouvoir basculer vers l’auto-suffisance alimentaire. Cela étant dit, les efforts ne doivent pas pour autant s’arrêter là. En effet, le manque d'inclusion des jardins et fermes urbains dans les politiques et la planification en fait la catégorie d'espaces verts la plus menacée.


Quelle est donc la marche à suivre ? La complémentarité des formes de production agricole est une des clés. L’erreur des grandes villes serait de délaisser l’agriculture conventionnelle et les ceintures maraîchères situées aux abords des grandes villes pour des projets d’agriculture urbaine qui sont en réalité souvent plus appropriés pour une ultra-spécialisation de la production, faute du manque d’espace.


Dans la plupart des villes du Nord, comme en France, il y a trop peu d’espaces au sol et les toits ne se prêtent pas tous à la culture : inclinaison, portance limitée, accès à l’eau restreint… À Paris, par exemple, si l’on cultivait sur tous les toits “agricolisables”, on ne pourrait même pas produire 10% des aliments frais consommés par les Parisiens!


D’autres dérives liées à cet engouement sont également à éviter. Certains projets, sous l’égide du concept d’agriculture urbaine, profite de cette légitimation pour construire des exploitations néfastes et contraires à la définition d’une agriculture de proximité, à petite échelle, et surtout, raisonnée. On peut par exemple parler ici de la récente remise en cause par la justice du projet d’EuropaCity, un gigantesque complexe qui envisage d’implanter sur les terres du triangle de Gonesse, parmi les plus riches de France, une ferme urbaine de sept hectares, alors qu’il détruirait dans le même temps 80 hectares… Autre défi sous-jacent des projets d’agriculture urbaine et péri-urbaine : les polluants.


En effet, développer l’agriculture en ville peut poser des risques sanitaires liés à la présence de polluants, notamment d’éléments traces métalliques (ETM), dans des teneurs plus élevées que celles habituellement rencontrées dans des sols agricoles, alerte Christine Aubry. Il est donc important d’insister sur la mise en place d’un suivi opérationnel régulier pour éviter ce type de problème.



Et dans les villes des Suds ? Les trajectoires diffèrent. Dans certains pays du Maghreb par exemple, l’agriculture a disparu des villes à mesure que la population augmentait. Pourtant, celle-ci revient depuis peu dans certaines villes et leurs périphéries. Tel est le cas au Maroc, où les toits plats se prêtent aux cultures, ou à Alger qui crée des agriparcs pour protéger les terres agricoles environnantes de l’étalement urbain et favorise les cultures en ville. A Madagascar, au Sénégal et au Burkina Faso, l’agriculture urbaine n’a pas disparu avec l’accroissement de la population urbaine. Au contraire : elle a crû avec la population. À Antananarivo, par exemple, la pisciculture s’est développée et la culture de cresson, alors en voie de disparition, s’est maintenue. Pour donner un autre exemple, au Sénégal, la production de salade en ville est passée de 20 ans d’une culture informelle, sur les toits ou dans les cours d’immeubles, à une production commerciale.


En 2050, deux tiers de la population mondiale vivra dans des villes. La question se pose : comment nourrir les villes du futur ? Il est difficile d’y répondre, mais une chose est certaine, les grandes villes, les capitales, sont déjà congestionnées et pétries de défis qu’elles tentent de relever. Favoriser la souveraineté alimentaire dans les villes intermédiaires grâce à une agriculture de proximité est en revanche, avec une volonté et un soutien politique, tout à fait réalisable. Les petites et moyennes villes sont donc les véritables villes du futur.


Sources :


- Reporterre - Bio et local : Quand les villes cultivent elles-même leurs fruits et légumes. https://reporterre.net/Bio-et-local-quand-les-villes-cultivent-elles-memes-leurs-fruits-et-legumes

- Reporterre - Des fermes urbaines pour remplacer l’agriculture francilienne ? https://reporterre.net/Des-fermes-urbaines-pour-remplacer-l-agriculture-francilienne

- Reporterre - Les Amap, bien vivantes pour soutenir les paysans

- The prefigurative power of urban political agroecology: rethinking the urbanisms of agroecological transitions for food system transformation (Chiaria Tornaghi & Michiele Dehaene) https://www.tandfonline.com/doi/epub/10.1080/21683565.2019.1680593?needAccess=true

- INRAE - Agriculture urbaine et contamination : une démarche pour évaluer et gérer les risques sanitaires. https://www.inrae.fr/actualites/agriculture-urbaine-contamination-demarche-evaluer-gerer-risques-sanitaires

- iD4D - Agriculture urbaine : les villes du futur seront nourricières. https://ideas4development.org/agriculture-urbaine-villes/




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